La Boca à Buenos Aires : quel danger en 2025 ?

Sur les forums dédiés à l’Argentine, pas une semaine ne se passe ou presque sans un récit des mésaventures d’un touriste francophone dans le quartier de La Boca : vol à main armée (arme à feu ou arme blanche) à 2 pâtés de maisons du Caminito, vol à l’arraché (avec violence ou non) sur le chemin conduisant à l’Usina del Arte, etc.

À Buenos Aires La Boca est-elle véritablement le quartier de tous les dangers ? Sur la base d’une visite récente de La Boca (mercredi 4 décembre 2024), je tâcherai d’apporter une réponse concrète à cette question.

Bien entendu, un témoignage vaut ce qu’il vaut. Cependant, mes échanges avec un policier municipal et un employé du Teatro de la Ribera ainsi que les observations effectuées sur place (notamment, en matière de présence policière) sont riches d’enseignements.

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⏳ Temps de lecture 13 minutes

Pas le temps de tout lire ? Voici l’info à retenir :

  • Les problèmes de délinquance sont une réalité incontestable dans le quartier de La Boca.
  • Cependant, une présence policière constante, en journée, dans le secteur le plus touristique du quartier permet de visiter de nombreux sites (Caminito, Fundación PROA, Museo Quinquela Martín, Teatro de la Ribera, Bombonera et Museo de la Pasión Boquense) l’esprit serein.
  • Pour se rendre aux sites plus excentrés (Usina del Arte, Puente Transbordador, Torre del Fantasma, etc.), prendre un véhicule (bus ou taxi) est fortement recommandé.

Besoins d’explications complémentaires ? Voici ce que propose cet article :

Ma visite du 4 décembre 2024 à La Boca : entre tourisme et enquête

Contexte et discours ambiant

À Buenos Aires, ville de contrastes, tel est le paradoxe des paradoxes : La Boca est l’un des quartiers les plus touristiques tout en étant l’un de ceux où s’aventurer est le plus risqué (bien plus que San Telmo, Palermo, Recoleta ou Puerto Madero, par exemple).

policiers en uniforme, en faction, devant des conventillos du quartier de La Boca à Buenos Aires

Mes amis porteños ne disent pas le contraire. En 2013, lors de ma première visite du quartier, mon amie Nadia (malgré sa détestation de Boca Juniors – elle est une fan inconditionnelle du Racing Club d’Avellaneda !) avait insisté pour m’accompagner.

Apparemment, il n’était pas prudent pour un gringo de s’aventurer tout seul dans ce coupe-gorge ! Qui plus est, toute visite de nuit était déconseillée.

Depuis 2013, le discours dominant n’a pas changé : lorsqu’on visite La Boca, il faut rester au plus près du Caminito et de La Bombonera, et s’y rendre en journée (autrement dit, avant que la nuit tombe).

Mais, un peu comme à Paris où un habitant du 16e arrondissement ne met quasiment jamais les pieds dans le 20e arrondissement (et réciproquement), les impressions d’un porteño qui ne vit pas à La Boca peuvent être faussées.

Il vaut mieux se rendre sur place et discuter avec ceux qui vivent et/ou y travaillent afin de se faire une idée plus précise de la situation.

Conditions de la visite (date, durée, transport)

J’ai donc effectué récemment une nouvelle visite du quartier de La Boca. J’y suis parti seul le mercredi 4 décembre 2024 dans l’espoir d’y glaner quelques informations utiles pour les futurs voyageurs.

En plus, une exposition sur les Incas (et leur influence en Argentine) organisée par la Fundación PROA, non loin du Museo Quinquela Martin, m’intéressait tout particulièrement.

affichage annonçant l'exposition "Los Incas, más allá de un imperio" sur la façade de la Fundación PROA dans le quartier de La Boca à Buenos Aires

Vu que ce musée est désormais gratuit le mercredi, c’était l’occasion idéale de joindre l’utile (enquête) à l’agréable (tourisme). De plus, la journée était ensoleillée et caractérisée par des températures printanières.

Petit rappel : le quartier de La Boca n’est pas desservi par le métro (SUBTE), il faut donc s’y rendre en bus ou en véhicule particulier.

À l’aller : j’ai pris un bus de la ligne 29. Je suis parti de la Plaza de Mayo (plus précisément depuis l’Avenida Hipólito Yrigoyen 398) et je suis descendu à la Vuelta de Rocha (plus précisément Avenida Don Pedro de Mendoza 1855, à proximité du Caminito). Le trajet dure 18 à 20 minutes.

Au retour : j’ai pris un bus de la ligne 33. Je suis parti d’Olavarría 802 et je suis descendu à proximité de l’ex-Centro Cultural Kirchner. Là aussi, le trajet dure environ 20 minutes.

Au final, j’ai passé environ 4 heures (de 14 h à 18 h) dans le quartier.

Avant l’arrivée à La Boca : échange avec un policier dans le bus

À bord du bus de la ligne 29, je me suis retrouvé pris en sandwich entre un groupe de touristes polonais et un policier municipal.

Ce dernier, à l’entrée de La Boca, s’est mis spontanément à prodiguer quelques conseils de sécurité.

Il faut dire que les Polonais s’exprimaient dans leur langue et leur look (tee-shirt, bermuda, casquette et lunettes de soleil) ne passait pas inaperçu.

Le policier municipal, sans excès de zèle, a donc jugé utile de préciser, dans un anglais encore plus minimaliste que le mien, qu’il fallait éviter la circulation à pied dans certaines zones du quartier y compris de jour.

Lorsque le bus est passé à proximité du Puente Transbordador, le policier a indiqué que descendre du bus à ce niveau puis continuer à pied jusqu’à Caminito est vivement déconseillé :

puente transbordador, monument emblématique du quartier de La Boca à Buenos Aires

Vu qu’il y avait un peu de friture sur la ligne entre les Polonais et le policier, le « pris en sandwich » que j’étais s’est improvisé accoucheur-traducteur de la pensée du gardien de la paix.

À ce stade, le propos du policier manquait encore de précision. Les touristes (les Polonais tout comme moi) voulaient être certains de bien identifier les zones sûres et les zones dangereuses du quartier.

Le policier a donc déclaré que la zone sûre était le secteur situé entre l’Avenida Don Pedro de Mendoza et la Bombonera, à condition de ne pas s’éloigner à plus de 2 cuadras de part et d’autre du Caminito.

Autrement dit, selon ce policier, une infime partie du quartier de La Boca est sûre.

Une carte insérée en fin d’article aidera à mieux visualiser ce secteur.

Arrivée à La Boca : présence policière visible autour du Caminito

En descendant du bus, je me suis aperçu que la présence policière est nettement visible sur la Vuelta de Rocha, dans le secteur compris entre la Fundación PROA et le Museo Benito Quinquela Martín, puis sur toute la longueur du Caminito.

présence policière (entourée en rouge) devant la Fundación PROA dans le quartier de La Boca à Buenos Aires
Policiers en faction (entourés en rouge) devant la Fundación PROA

Des groupes de policiers sont en faction ou font des rondes à pied. D’autres policiers circulent en voiture ou en deux roues :

Véhicule de Police et policiers en patrouille dans le quartier de La Boca à Buenos Aires

Enfin, entre la Fundación PROA et la Plazoleta de los Suspiros, une borne d’appel d’urgence en forme de totem (appelée « punto seguro ») permet de contacter les secours par une simple pression sur un bouton. Ce dispositif municipal n’est pas spécifique à La Boca. Début novembre 2024, une centaine de puntos seguros ont été installés dans différents quartiers de la Buenos Aires. J’en ai, notamment, observé sur la Plazoleta Cortázar dans le quartier de Palermo.

borne d'appel d'urgence (appelée "punto seguro"), dans le quartier de La Boca à Buenos Aires. Ce totem permet d'entrer en contact avec un opérateur du 911, sur simple pression d'un bouton

Selon le gouverneur de Buenos Aires, ces totems permettent de communiquer directement avec le 911 en cas d’urgence. L’opérateur activera immédiatement les équipes et, selon la situation, enverra la police, les pompiers, le SAME (équivalent argentin du SAMU) ou la protection civile. Ces totems sont équipés de caméras pour une surveillance en temps réel.

Instructions d'utilisation et bouton de la borne d'appel d'urgence (appelée "punto seguro") située dans le quartier de La Boca à Buenos Aires
Ces totems sont dotés d’un bouton d’appel d’urgence

Cette présence policière est nettement moins visible sur certaines voies qui conduisent du Caminito à La Bombonera, notamment si vous empruntez (à l’instar de votre serviteur) la ruelle General José Garibaldi. Cette dernière donne d’ailleurs un aperçu de l’envers du décor : dès qu’on s’éloigne de la zone la plus touristique, La Boca est un quartier pauvre et relativement délabré.

Pour aller du Caminito à La Bombonera, circuler par la rue du Dr Del Valle Iberlucea donnera donc une impression plus sécurisante. Même si je ne suis à aucun moment senti menacé en marchant dans la ruelle Garibaldi, tant à l’aller qu’au retour.

Visite de La Boca : échange avec un employé du Teatro de la Ribera

Au cours de ma visite touristique du quartier, je ne me suis pas contenté de la Fundación PROA. Ayant poussé la porte du Teatro de la Ribera, Gabriel, un employé administratif, m’a accueilli chaleureusement. J’ai eu droit à une petite visite guidée.

façade du Teatro de la Ribera dans le quartier de La Boca à Buenos Aires

J’ai saisi l’occasion de cet échange sympathique (un quasi-pléonasme en Argentine) pour lui faire part de l’objet de ma visite et lui rapporter les propos tenus par le policier à bord du bus de la ligne 29.

Gabriel a totalement, sans réserve, confirmé les propos du policier municipal.

Le secteur réputé sûr, de jour uniquement, se situe bien entre le Caminito et La Bombonera. Et il est conseillé de ne pas s’éloigner de plus de 2 cuadras.

Par exemple, pour aller du Caminito à l’Usina del Arte, il est recommandé d’emprunter un bus ou un taxi. D’ailleurs, ces derniers sont nombreux à circuler sur l’Avenida Don Pedro de Mendoza, le long de la Vuelta de Rocha :

taxis en attente de passagers sur l'Avenida Don Pedro de Mendoza, au niveau de la Plazoleta de los Suspiros, dans le quartier de La Boca à Buenos Aires

Selon Gabriel, les voyageurs ne sont pas les seuls à pâtir de la situation. Les personnes qui travaillent dans la zone la plus touristique du quartier peuvent être victimes d’agression en fin de journée, au moment où ils repartent chez eux. En effet, la plupart d’entre eux ne vivent pas sur place ni dans ce quartier.

Outre les causes structurelles de l’insécurité chronique dans le quartier (dont il sera question plus loin), Gabriel a indiqué que la situation est encore plus tendue depuis que la municipalité a interdit le marché sauvage habituellement organisé sur l’Avenida Don Pedro de Mendoza, dans le secteur de la Plazoleta de los Suspiros.

Cette interdiction, un manque à gagner certain pour les vendeurs à la sauvette et l’économie informelle du quartier, a probablement suscité de nombreuses rancœurs. Mais, pour être tout à fait honnête, les agressions ne datent pas de cette interdiction.

Après la visite de La Boca : attente du bus 33

Un bus de la ligne 33 m’est passé sous le nez alors que j’achetais quelques friandises dans une boulangerie de la rue Olavarría. Comme quoi, la gourmandise est un vilain défaut.

J’ai donc attendu le bus suivant pendant une bonne vingtaine de minutes. En faisant le planton, seul à l’arrêt, au niveau du 802 de la rue Olavarría.

La rue étant animée (quasiment tous les pieds d’immeubles sont des commerces, d’un côté comme de l’autre), j’ai vu beaucoup de monde passer et vaquer à ces occupations.

Malgré la quasi-absence des forces de police – ce qui prouve que l’effort sécuritaire est concentré sur un secteur bien précis du quartier – cette partie du quartier demeure sûre. Sans trop d’appréhension, vous pouvez donc envisager de retourner vers le centre-ville au moyen de la ligne de bus 33.

Débriefing avec mes amis : les causes structurelles de l’insécurité à La Boca

En définitive, j’ai passé une excellente après-midi à La Boca. Je n’en garderai que de bons souvenirs.

Le samedi 7 décembre, j’ai fait part de ma visite à plusieurs amis porteños (Nadia dont j’ai déjà parlé, mais aussi Eduardo, Marcelo et Soledad).

Aucun d’entre eux ne vit à La Boca, mais tous s’accordent à dire que la situation actuelle dans le quartier est le fruit d’un projet de développement local raté.

En créant le Caminito, Benito Quinquela Martín et ses amis, soutenus par de nombreux habitants du quartier, avaient pour objectif d’enclencher une dynamique positive : le quartier gagnerait en attractivité et les revenus tirés du tourisme contribueraient à son développement.

statue du peintre et bienfaiteur Benito Quinquela Martín dans le quartier de La Boca à Buenos Aires
Sur le socle de cette statue de Quinquela Martín, installée au cœur de La Boca, on peut lire : « Tout ce que j’ai fait et tout ce que j’ai accompli, je le dois à mon quartier. D’où l’élan irrépressible qui a inspiré mes œuvres. C’est pourquoi je ne considère pas avoir fait des dons, mais des contre-dons. J’ai rendu à mon quartier une bonne partie de ce qu’il m’a fait gagner. »

La noblesse, la justesse et l’actualité de ce projet ne sauraient être remises en cause. Mais, comme j’ai déjà eu l’occasion de le signaler précédemment, il suffit d’ouvrir les yeux pour se rendre compte qu’il s’agit encore d’un projet qui ne s’est pas concrétisé dans les faits.

Le quartier et ses habitants ne profitent absolument pas de la manne touristique.

La plupart des commerçants, restaurateurs, artistes de rue, etc. ne vivent pas dans le quartier et s’en désintéressent. Comme un symbole, à l’entrée du Caminito, le nom de la marque Cachafaz apparait au beau milieu des façades colorées. J’adore les alfajores et le dulce de leche Cachafaz (ils sont vraiment excellents), mais il est évident que les propriétaires de cette entreprise se soucient davantage de leur chiffre d’affaires que du sort des habitants du quartier.

conventillo devenu une boutique de la marque d'alfajores Cachafaz à l'entrée du Caminito dans le quartier de La Boca à Buenos Aires

On voit mal comment on pourrait le leur reprocher. Après tout, changer la donne est davantage de la responsabilité des politiques que d’éventuels entrepreneurs ou mécènes.

À La Boca, au quotidien, la richesse côtoie la misère. Les autorités n’ayant pas le contrôle de la situation (et n’ayant semble-t-il aucune envie d’agir sur les causes profondes de l’insécurité à La Boca), le choix a été fait de pacifier la partie la plus touristique du quartier.

présence policière dans la rue Magallanes du quartier de La Boca à Buenos Aires

Les autres secteurs sont volontairement délaissés. Parfaitement informés de la situation, des délinquants (plus ou moins organisés, plus ou moins agressifs, qui ne sont absolument pas des Robin des Bois des temps modernes) s’en donnent à cœur joie : ils attendent que des touristes imprudents s’éloignent de la zone sécurisée pour se faire de l’argent facile.

En conclusion : bilan de l’enquête et cartes explicatives

Une première carte représente le quartier de La Boca, délimité par des pointillés rouges. Le secteur sécurisé par une présence policière conséquente et constante, en journée, est encadré en rouge :

Cette carte représente le quartier de La Boca à Buenos Aires délimité par des pointillés rouges. Le secteur du quartier sécurisé par une présence policière constante en journée est matérialisé par un encadré rouge.

Cette seconde carte propose un zoom sur le secteur sécurisé afin que les noms des rues soient plus nettement identifiables :

Cette carte propose un zoom sur le secteur du quartier de La Boca à Buenos Aires qui est sécurisé par une présence policière constante en journée.

Sur cette seconde carte, le Caminito est indiqué par un trait bleu clair. La rue Dr Del Valle Iberlucea, dont le nom n’apparait pas sur le plan, est celle située entre les rues Garibaldi et Palos.

Conclusion de l’enquête et morale de l’histoire (qui espérons-le n’est pas finie, car La Boca et ses habitants méritent un avenir radieux) :

Un peu comme un skieur, il faut éviter le hors-piste lors d’une visite de La Boca. Suivez les sentiers bien balisés par les touristes et les policiers et, en principe, tout devrait bien se passer.

Et alors, comme ces touristes insouciants, vous pourrez même prendre plaisir à jouer avec votre smartphone sur les terrasses installées le long de l’Avenida Don Pedro de Mendoza :

4 touristes en train de consulter leur smartphone, sur un trottoir de l'Avenida Don Pedro de Mendoza dans le quartier de La Boca à Buenos Aires

Un mot sur l’auteur

Présentation de Jérôme Dufaur, créateur de argentinamo.com et auteur des articles: "Tombé amoureux de l’Argentine lors d’un semestre d’études en 2001, Jérôme Dufaur y passe entre 3 et 6 mois par an. Conscient du besoin de disposer d’informations de qualité sur ce magnifique pays, il a créé ArgentinAmo pour partager des conseils de voyage et transmettre sa passion."

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