Marcher au milieu de milliers de manchots, ça vous tente ?
Grâce à Punto Tombo, la plus grande colonie continentale de manchots de Magellan au monde, ce rêve devient réalité.
Lors d’un voyage en Argentine, la destination est moins prisée que les chutes d’Iguazu. Pourtant, chaque année, entre septembre et avril, plusieurs centaines de milliers de ces oiseaux marins viennent s’y reproduire.
Cette réserve naturelle, située sur la côte atlantique, au nord de la Patagonie argentine, permet aux visiteurs, de tout âge, de les voir évoluer dans leur habitat naturel. Un sentier a été aménagé pour faciliter leur observation. Un spectacle en pleine nature, pour toute la famille.

Dans cet article, je partagerai l’émerveillement qui a été le mien à la vue des comportements surprenants et amusants de ces animaux.
J’attirerai aussi votre attention sur la fragilité de ce sanctuaire, essentiel à la préservation des manchots et de la faune locale. Quelques bonnes pratiques doivent être observées pour le visiter tout en respectant son équilibre écologique.
Pour couronner le tout, j’essaierai de ne pas employer une seule fois le mot « pingouin ». En effet, de mémoire d’homme, personne n’a encore vu un manchot voler dans le ciel.
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Pas le temps de tout lire ? Voici les infos à retenir :
- Dans la réserve, un sentier balisé, accessible à tous, permet de marcher tout près des manchots de Magellan. Quelques règles simples doivent être impérativement respectées pour préserver un écosystème fragile.
- Pas de transport en commun. Il faudra s’y rendre par vos propres moyens ou vous joindre à une excursion organisée (plusieurs opérateurs proposent des tours au départ de Puerto Madryn ou de Trelew).
Besoin d’explications complémentaires ? Voici ce que propose cet article :
Punta Tombo : un écosystème unique au monde
Présentation et histoire de la réserve
D’une superficie de 210 hectares, la réserve faunique de Punta Tombo, dans la province de Chubut en Argentine, a été créée en 1972.
Son objectif : protéger cette colonie reproductrice de manchots de Magellan (Spheniscus magellanicus) et, plus généralement, la biodiversité de la région.
Cette décision a été motivée par l’augmentation du tourisme et des activités humaines, qui menaçaient les habitats naturels. De plus, en raison de son importance écologique, il s’agissait d’en faire un lieu de recherche scientifique majeur.
Punta Tombo est une composante de Patagonia Azul, un territoire protégé encore plus vaste. Depuis 2015, Patagonia Azul fait partie du réseau mondial de réserves de biosphère de l’UNESCO.
Chaque année, environ 500 000 couples de manchots débarquent à Punta Tombo, une étroite bande de terre aride (3 km de long et 600 m de large), pour pondre et élever leurs petits. Ce phénomène saisonnier en fait l’un des spectacles les plus impressionnants du monde animalier.
Même si le sentier ne parcourt qu’une petite partie de la réserve, vous y observerez des manchots à perte de vue. On se sent petit et c’est tant mieux.
Un sanctuaire pour la faune et la flore
Si les manchots de Magellan sont les stars de Punta Tombo, la réserve abrite une biodiversité exceptionnelle. Plusieurs espèces emblématiques vivent dans le secteur :
- Les guanacos.
Ces camélidés sud-américains (proches des lamas, des alpagas et des vigognes qui vivent dans les Andes) parcourent librement la steppe patagonienne.
- Les renards gris
Un zorro difficile à observer, car (n’en déplaise à Henri Salvador), il est rare qu’il arrive sans s’presser.
- Les cormorans et goélands
Ilsfigurent parmi la centaine d’espèces d’oiseaux marins qui nichent sur la côte.
- Les maras
Ces rongeurs des steppes ressemblent à des lièvres sans queue.
La végétation, quant à elle, est typique des zones arides de Patagonie. La steppe est caractérisée par de petits arbustes adaptés aux conditions climatiques extrêmes.
L’exact opposé des immenses arbres des forêts denses d’Esquel que l’on trouve au Parque Nacional Los Alerces, quasiment à la même latitude, mais du côté andin. Certains spécimens peuvent atteindre 80 m de haut :
Pourquoi Punta Tombo est unique ?
Comparée à d’autres colonies de manchots dans le monde – comme celles des îles Malouines ou l’Antarctique –, Punta Tombo se distingue par :
- Son accessibilité
Contrairement aux régions polaires, il est possible d’y observer les manchots à l’abri des conditions climatiques extrêmes (même si le vent peut souffler fort, soyez prévenu !).
- La densité des oiseaux
La concentration de manchots au mètre carré, qui est l’une des plus élevées du monde, en fait la plus grande colonie continentale.
- Les interactions avec les visiteurs
Tout en respectant scrupuleusement les sentiers balisés, on peut voir les manchots évoluer à quelques mètres de soi.
Observer les manchots de Magellan : un spectacle naturel fascinant
Conditions d’observation
Une fois arrivé à Punto Tombo, vous avez la possibilité de visiter le centre d’interprétation.
Il est vivement conseillé d’y faire une halte, surtout si vous n’avez pas opté pour une excursion avec un guide. Le tour complet des 5 salles thématiques prend environ 1 h. Vous y découvrirez :
- L’histoire de la formation géologique de Punta Tombo
- Les caractéristiques, conditions de vie et processus migratoires du manchot de Magellan
- L’écosystème terrestre et marin dans lequel il évolue
- Une scénographie pour comprendre ce qui se passe lorsque le manchot est dans la mer
Puis, à l’air libre, vous emprunterez un sentier de 3,5 km de long, très nettement balisé et accessible aux personnes à mobilité réduite.
Un chapeau, des vêtements confortables et de la crème solaire sont recommandés.
Les manchots circulent librement, de part et d’autre du sentier, ou encore en plein milieu. Avec leur démarche étonnante, presque titubante (et pourtant, en cas de rafales, vous serez bien plus secoué qu’eux, croyez-moi…).
Si le sentier comprend quelques passerelles afin de faciliter la circulation des animaux (ou leur offrir une cure d’ombre), le reste du temps aucune intersection n’est signalée.
Le Code de la route est simple : chaque fois qu’un manchot veut traverser le sentier, il est prioritaire.
Certes, parfois, ils hésitent… Je traverse ? Je ne traverse pas ? Ils s’immobilisent subitement et leur temps de réflexion semble s’éterniser.
Bien évidemment, cette situation, fréquente, prête à sourire. Mais, c’est probablement le signe qu’ils sont stressés par la présence humaine.
S’il est tentant d’en profiter pour prendre une photo de plus près, le mieux est de rester à une distance respectable, le temps que l’oiseau s’apaise et décide s’il poursuit sa route ou s’il rebrousse chemin.
Ne vous inquiétez pas, même en vous tenant à distance, vous les verrez de très près et pourrez prendre de belles photos.
Le parcours dure 3 h, en prenant son temps.
Et il faut prendre son temps. Vous êtes là pour en profiter, à un rythme de pingouin – pardon, je voulais écrire, à un rythme de sénateur. Cet éphémère compagnonnage avec les manchots ne se reproduira probablement jamais.
Manchot de Magellan : petit par la taille, grand par le talent
Ce drôle d’oiseau joue dans la catégorie poids plume : 40 à 45 cm de haut pour 4 à 6 kg.
Mais, le sous-estimer serait une grave erreur : le manchot est un excellent nageur et plongeur.
Sous l’eau, il se déplace en utilisant ses nageoires comme s’il volait, en mode sous-marin. De plus, pour avancer à grande vitesse, les nageoires collées au corps, il plonge, puis saute hors de l’eau pour replonger, et ainsi de suite. Ainsi, il peut respirer sans diminuer leur vitesse. Ce mode de déplacement est similaire à celui des dauphins.
Autre talent : le manchot de Magellan a des plumes imperméables grâce à une substance grasse appelée sébum. Cette substance est sécrétée par une glande située à la base de sa queue, appelée glande uropygienne.
L’animal étale cette huile sur ses plumes avec son bec lorsqu’il se toilette, ce qui crée une barrière protectrice. Cette couche de graisse aide à empêcher la pénétration de l’eau, ce qui est crucial pour sa survie dans des environnements aquatiques froids et pour le maintien de sa chaleur corporelle.
Cycle de vie des manchots de Magellan
Chaque année, les manchots de Magellan suivent un cycle précis :
- Septembre : après une longue migration, retour sur les plages de Punta Tombo pour la nidification. Les mâles arrivent les premiers, retournant aux nids utilisés lors du cycle précédent. Quelques jours plus tard, les femelles arrivent et les disputent entre mâles commencent.
- Octobre à début novembre : période de reproduction et de ponte (généralement 2 œufs par couple | 40 à 42 jours d’incubation)
- Début novembre à fin janvier : éclosion des poussins, au plumage gris (généralement entre la 1re et la 3e semaine de novembre) et premières semaines (70 à 120 jours) sous la protection des parents.
- Février – mars : mue des jeunes manchots et apprentissage de la nage, avant leur premier départ en mer.
- Avril – août : migration vers les eaux uruguayennes et brésiliennes, 2 000 à 3 000 km au nord, où ils vivent et se nourrissent pendant 6 mois.
Comportements étonnants des manchots
Les manchots de Magellan adoptent des comportements surprenants. Si vous êtes enclin à l’anthropomorphisme, vous pourrez laisser libre cours à votre imagination facétieuse.
- Chant nuptial : les mâles émettent un appel sonore, un cri rauque, pour attirer une femelle. L’histoire ne dit pas comment s’y prennent les muets pour draguer les sourdes.
- Rituels de séduction : une fois le couple formé, les partenaires se frottent les têtes et les cous. Dans le jardon autorisé (sauf par les puritains), on appelle cela des préliminaires.
- Défense du territoire : malgré leur apparence inoffensive, les manchots peuvent être agressifs s’ils se sentent menacés. Les affrontements entre rivaux, véritables chefs de gang, sont monnaie courante. Tar’ ta gueule à la récré !
- Fidélité conjugale : des couples ont coutume de se retrouver et de se reformer chaque année. Ce n’est donc pas sur ce critère qu’on pourra décider de leur accorder ou non une place au paradis.
- Égalité des sexes : pendant la période d’incubation, les œufs doivent rester chauds et secs pendant toute la durée du processus. Le mâle et la femelle se relaient pour les couver. Plutôt qu’un bel exemple d’égalité entre les sexes, les Dupond et Dupont de la Maison-Blanche (et d’ailleurs) y verront une nouvelle manifestation du péril woke.
Planifier sa visite à Punta Tombo
Comment s’y rendre ?
La réserve naturelle protégée de Punta Tombo est située :
- à 110 km au sud de Trelew et de Rawson (1 h 50 de route)
- à 180 km au sud de Puerto Madryn (2 h 30 de route)
- à 370 km au nord de Comodoro Rivadavia (4 h 30 de route)
Les différentes routes provinciales qui y conduisent (n° 1, n° 32 et n° 75) comprennent des secteurs non asphaltés (camino de ripio). Mais, elles sont praticables en véhicule de tourisme.
Attention : quel que soit votre point de départ, aucun transport en commun ne dessert Punta Tombo.
🚗 En voiture : louer une voiture est une option courante pour plus de liberté et pour partager les frais. Si le 4 x 4 est inutile, il faut bien être attentif aux assurances, car les projections – lors de la conduite sur les sections non asphaltées – peuvent endommager les parebrises. Un parking est disponible à l’entrée de la réserve, à une distance respectable de l’habitat des manchots.
🚌 Excursions organisées : depuis Trelew ou Puerto Madryn, de nombreuses agences proposent des tours en compagnie d’un guide. Personnellement, c’est l’option que j’ai retenue lors de ma visite.
L’excursion d’1 journée au départ de Puerto Madryn faisait, qui plus est, une halte à Trelew et Rawson sur le chemin du retour. Si vous n’êtes pas véhiculé et que vous voyagez en solitaire, c’est l’occasion de faire d’une pierre 2 coups (visite de Punto Tombo + aperçu de l’Argentine galloise).
Carte interactive de la réserve et localisation des points de départ
Meilleure période pour visiter Punto Tombo
Si vous le pouvez, 2 périodes sont à privilégier :
- mi-novembre, lorsque les premiers poussins viennent de naitre.
- fin janvier, lorsque la colonie est à son apogée en raison de la présence simultanée de manchots adultes, de jeunes et de poussins.
À noter que janvier et février sont les périodes des grandes vacances scolaires en Amérique du Sud. L’affluence est donc plus forte.
Tarifs et horaires d’ouverture
Logiquement, la réserve de Punta Tombo est fermée d’avril à septembre.
Le reste de l’année, lorsque les manchots y sont présents en nombre, elle accueille les visiteurs, tous les jours, de 8 h à 18 h.
À la date de publication de cet article (25 février 2025), les tarifs pour les touristes étrangers étaient les suivants :
Visiteur | Prix (en ARS) |
+ 12 ans | 18 000 |
6 à 11 ans | 9 000 |
– 6 ans | Gratuit |
Personnes handicapées | Gratuit |
Que faire autour de Punta Tombo ?
Explorer Puerto Madryn et la péninsule de Valdés
À quelques heures de route, la péninsule de Valdés est un autre sanctuaire majeur de la faune marine. Située à proximité de Puerto Madryn, la péninsule est célèbre pour :
- Ses baleines franches australes (visibles de juin à début décembre)
- Ses orques (pratiquant la chasse sur les plages)
- Ses dauphins
- Ses lions et ses éléphants de mer
Découvrir Rawson et Trelew
Nouvelle source d’étonnement dans ce pays de contraste, entre Puerto Madryn et Punta Tombo s’étend l’Argentine galloise. Rawson et Trelew en sont les symboles.
- Rawson
Rawson a été fondée en 1865 par des colons gallois. Depuis 1884, cette ville portuaire est la capitale de la province de Chubut. C’est la capitale provinciale la moins peuplée d’Argentine (38 129 habitants selon le recensement 2022).
Outre la possibilité d’observer des dauphins de Commerson (toninas overas), des petits cétacés noir et blanc, Rawson est réputée pour ses plages telles que Playa Unión et Playa Magagna.
- Trelew
Trelew, également fondée par des colons gallois, est la « capitale » économique et culturelle de la région (106 214 habitants selon le recensement 2022).
Son nom signifie « le village de Lewis » en gallois, ce qui est un hommage à son fondateur Lewis Jones.
Trelew abrite le Musée paléontologique Egidio Feruglio, l’un des plus importants d’Argentine. Une réplique du titanosaure, le plus grand dinosaure du monde, se trouve à l’entrée nord de la ville.
Vous pouvez vous attabler dans des maisons de thé où la boisson est servie dans le respect des traditions galloises. Même si elles sont jugées moins authentiques que celles de Gaiman – une localité située une quinzaine de km à l’ouest –, une pause s’impose pour tout amateur de ce noble breuvage.
Comprendre l’impact du tourisme sur Punta Tombo
Bilan écologique de l’affluence touristique
119 000 personnes ont été accueillies lors de la saison 2022-2023. Record de fréquentation.
La moyenne est de 100 000 visiteurs par an sur les 50 dernières années.
Malheureusement, comme pour de nombreux autres sites touristiques – pour s’en tenir à l’Amérique du Sud, il suffit de penser au Machu Picchu ou aux îles Galapagos– cette affluence a des effets négatifs sur l’écosystème.
Rendue publique fin janvier 2019, une étude du CONICET (l’équivalent du CNRS en Argentine), coordonnée par María Graciela Palacios, a tiré la sonnette d’alarme : les manchots les plus exposés à l’afflux de touriste souffrent de stress chronique et d’une détérioration de leur état de santé.
La pratique consistant à prendre des selfies avec les manchots est la plus traumatisante. Bon, inutile de vous préciser qu’il est formellement interdit de la faire (si vous comptiez sur cela pour faire le buzz sur TikTok, il faudra trouver autre chose).
Pour parvenir à ces constats, les chercheurs ont comparé les nids proches des sentiers aux nids situés dans des zones inaccessibles aux visiteurs. Ainsi les impacts du tourisme ont pu être isolés et différenciés des autres facteurs (notamment, environnementaux) qui affectent l’ensemble du site.
Comment être un touriste responsable ?
Le 7 novembre 2024, Ricardo Adolfo La Regina a été reconnu coupable de dommage environnemental et de cruauté animale. Il a été condamné à 3 ans de prison avec sursis.
En août, septembre, novembre et décembre 2021, La Regina avait utilisé un bulldozer pour tracer des chemins et installer des clôtures dans la réserve de Punta Clara, autre lieu de reproduction des manchots à quelques kilomètres au nord de Punta Tombo. Ces interventions avaient entrainé la mort de 240 manchots et la destruction de 175 nids.
Ce procès et ce jugement historique confirment que la province de Chubut semble décidée à garantir la pérennité du sanctuaire, même si aucune régulation du nombre de visiteurs de Punta Tombo n’est à l’ordre du jour.
Le centre d’interprétation et les panneaux d’information sensibilisent le public. Ils invitent à faire preuve de responsabilité le temps de la visite d’un habitat que les manchots ont choisi pour franchir une étape très sensible de leur vie.
Même si vous ne visiterez pas Punta Tombo au volant d’une pelleteuse (quoique…), voici quelques règles et conseils pratiques pour une observation respectueuse :
✅ Circuler uniquement sur le sentier balisé
✅ Ne pas toucher ou déranger les manchots | garder une distance respectable
✅ Ne pas nourrir les manchots
✅ Éviter les bruits forts et les mouvements brusques
✅ Ne pas venir avec des animaux de compagnie
✅ Ne pas manger sur le sentier (une cafeteria existe au sein de la réserve naturelle)
✅ Ne laisser aucune trace de son passage | repartir avec les déchets produits le temps de la visite
En conclusion
Punta Tombo est un site touristique, mais surtout un trésor écologique à préserver. Observer des milliers de manchots dans leur environnement naturel est une expérience inoubliable (je peux en attester !), à condition de le faire de manière responsable.
Prêts à explorer Punta Tombo ? Partagez cet article et laissez un commentaire pour faire part de vos questions ou expériences.